Quelle Europe pour quel monde ?
Fiche Pacte civique : équipe projet Europe
Version octobre 2013
Avertissement : Cette nouvelle version a essayé de prendre en compte divers apports faites le 16 septembre 2013 lors d'une table ronde à l'assemblée nationale sur « renforcer la place de l'Europe dans le monde ». Cependant cette fiche n'aura du sens que si elle est articulée avec une fiche sur « quelle France dans quelle Europe » (ce qui pose la question de la façon d'améliorer les rapports de la France et de l'Europe) et avec une autre sur la façon de « faire progresser la qualité de la démocratie en Europe ».
A l'échelle mondiale, l'Union Européenne (UE) s'est distinguée jusqu'à maintenant d'autres régions par un modèle cherchant à concilier cinq dimensions : l'efficacité économique, la cohésion sociale, l'accès à la culture à travers l'éducation, la protection de l'environnement et la démocratie. Ce modèle s'appuie sur des valeurs partagées par les membres de l'Union européenne telles que l'égalité, la solidarité, la liberté, la dignité de toute personne, les droits de l'homme, l'État de droit.
Parmi les différents paramètres qui conduisent à de fortes évolutions dans les sociétés européennes et leur modèle, la mondialisation néolibérale et la question écologique et climatique occupent une place déterminante. La mondialisation se développe depuis plusieurs siècles sous l'effet des évolutions techniques, scientifiques, culturelles et politiques, et s'est renforcée rapidement au cours des dernières décennies. Ceci a généré de multiples interdépendances avec les autres continents à travers des échanges commerciaux et financiers, des flux migratoires, des problèmes et conflits à résoudre, etc. L'émergence de la crise écologique et climatique est plus récente dans les consciences, elle n'en bouscule pas moins nos modes de production, de consommation et nos modes de vie. Ceci nous conduit à revoir notre modèle de développement et à redéfinir le rôle de l'Europe dans le monde.
Alors que l'Union européenne est de plus en plus soupçonnée de n'être qu'un simple rouage d'une mondialisation perçue comme négative, cette fiche cherche à ébaucher un état des lieux de sa situation dans le monde, puis à imaginer la façon dont elle doit non seulement prendre en compte l'évolution du reste du monde mais (l'influencer afin de) participer à la construction commune de notre avenir.
1 Un basculement des rapports de force remettant en cause l'Europe
L'Union européenne à 28 États (après l'adhésion de la Croatie en juillet 2013) compte une population de plus de 500 millions d'habitants, soit moins de la moitié de la population chinoise. L'Allemagne, pays européen le plus peuplé avec 82 millions d'habitants, a deux fois moins d'habitants que l'Etat fédéré indien de l'Uttar Pradesh. Les Européens, qui représentent aujourd'hui 7% de la population mondiale, ne devraient plus en représenter que 3% en 2030.
A ce basculement démographique vient s'en ajouter un autre de nature économique. « La production chinoise représente aujourd'hui plus de 8% de l'économie mondiale (en dollars courants), contre moins de 2% il y a trente ans, ce qui entraîne des répercussions économiques, politiques et médiatiques déjà considérables. Or, dans vingt ans la Chine devrait représenter 20% de l'économie mondiale, et cette évolution aura des conséquences encore plus visibles. L'Inde représente 3% de l'économie mondiale aujourd'hui et devrait en représenter 5% dans 20 ans. ( ) Le rééquilibrage économique mondial, le retour des pays réémergents (Chine, Inde) et l'apparition de nouveaux (Brésil, Nigéria, etc.) entraînent une diminution relative du poids économique de l'occident dans l'économie mondiale.
Si la tendance observée depuis deux décennies se poursuit, le poids de l'Europe dans l'économie mondiale passerait de 35% à 25% d'ici 2030, tandis que celui de l'Amérique du Nord (États-Unis et Canada) diminuera de 30 à 28% du fait d' une démographie plus favorable qu'en Europe. »1
Par ailleurs l'Europe a souvent du mal à faire entendre sa voix dans les négociations internationales. Par exemple, dans les négociations climatiques et en avance dans les réalisations, elle n'a pu faire avancer les dossiers ni à Copenhague, ni à Rio faute d'un représentant unique. Ceci pose la question du rôle futur de l'Europe dans la gouvernance mondiale alors que celle-ci est indispensable pour traiter de nombreuses problématiques : cyber-sécurité, énergie, migrations, démesure financière, famines, terrorisme, guerres asymétriques, etc.
Au delà de l'évolution du poids économique, démographique, politique de l'Europe se pose la question de la façon dont elle va régler les tensions qui remettent en cause l'ensemble de son modèle, y compris culturel. La diminution de son poids politique et économique doit la conduire à passer d'une attitude hégémonique voire prétentieuse, notamment sur le plan culturel, à une ouverture sur un dialogue d'égal à égal afin de construire des partenariats fondés sur un respect réciproque des peuples et de leurs intérêts légitimes. Par contre cela ne la dispense pas d'améliorer sans cesse la qualité de sa vie démocratique, ce qui lui permettra de justifier ses interpellations sur les dérives en ce domaine dans de nombreux pays.
Enfin, il est nécessaire de prendre en compte les évolutions géostratégiques dans un monde devenant multipoloaire, en particulier celles liées aux changements des intérêts des USA (qui ne priviligient plus leur alliance avec l'Europe et qui cherchent à se dégager de leurs responsabilités, en particulier au Proche Orient), à la montée des nouvelles puissances émergentes, au poids des courants alternatifs2,, à l'importance des migrants pour faire face au déclin démographique, au développement des intégrismes religieux, aux défis écologique et climatique; ceci devrait conduire l'Europe à s'impliquer dans la préparation de l'avenir, en particulier de son environnement proche, du Bassin méditerranéen au Proche-Orient et à l'Afrique.
2 Une Europe à mobiliser pour son avenir et celui du monde
A. Refonder le modèle européen
L'Europe a été et reste un exemple d'union de pays proches cherchant à résoudre ensemble une partie croissante de leurs problèmes. L'effort doit être poursuivi à travers une refondation de notre modèle.
En matière économique et environnementale, les années de croissance basées sur une position dominante dans le monde et sur une énergie disponible abondante sont terminées. L'évolution de nos PIB étant très liée à nos disponibilités énergétiques propres qui vont avoir du mal à croître3 , nous devons investir sur les économies d'énergie et sur leurs modes de production les moins polluants. Par ailleurs nous devons promouvoir une économie privilégiant l'emploi de qualité, la proximité territoriale, la sobriété et le respect de la nature. Plutôt que de regretter que l'ambition des Européens se heurte à l'immobilisme des autres puissances comme en attestent le statu quo des négociations climatiques internationales, il s'agit de prendre conscience ensemble que les changements profonds générés par des interdépendances croissantes requièrent des solutions où une Europe unie peut jouer un rôle si elle est capable de montrer la pertinence de son modèle.
En matière financière, il s'agit de réguler la finance internationale comme européenne pour les remettre au service de la société et de régler la crise des dettes souveraines qui affecte la zone euro.
En matière de cohésion sociale, face aux souffrances d'une part croissante de la population européenne, il s'agit de mobiliser les énergies et les moyens indispensables pour construire enfin une politique sociale commune basée sur le dialogue social, la coordination des politiques d'emploi et des normes adaptées aux défis de l'emploi et de la lutte contre la pauvreté et l'exclusion. Par ailleurs il faut réguler les vives tensions du marché du travail aggravées par la libéralisation du commerce international et une compétitivité exacerbée déjà à l'intérieur de l'Europe.
En matière culturelle, la force de nos valeurs européennes se dilue peu à peu du fait de nos difficultés à les mettre en pratique de façon cohérente et à les transmettre à travers notre système éducatif. Les prises de conscience des fractures et contradictions qui s'aggravent sont indispensables pour mieux articuler transformations personnelles et transformations sociales. Ceci exigera de revoir la façon de donner du sens à nos vies et à celle des autres et donc de repenser le sens que l'Europe veut donner à son indispensable mutation au service de l'humanité4.
En matière démocratique, il s'agit de faire évoluer le cadre politique pour que le peuple exerce sa part de souveraineté, notamment choisissant ses représentants, en s'impliquant dans les débats et les processus de décisions et en exerçant un contrôle effectif des pouvoirs (voir fiche en cours de rédaction).
L'Europe ne pourra exercer son influence dans le monde que si elle est d'abord capable de rénover son modèle afin de le rendre plus attractif, plus cohérent et plus porteur de sens. Elle devra en particulier se reposer la question de la façon dont elle exerce ses solidarités dans un monde en crise.
B. Une Europe unie pour jouer son rôle dans un monde déboussolé
La souveraineté des peuples d'Europe se cherche entre l'État nation5 soucieux de défendre ses intérêts et une Union européenne qui a du mal à s'unir et à s'affirmer autour d'un projet commun. Le renforcement de la construction européenne apparaît comme la seule perspective permettant de donner une voix suffisamment forte aux Européens dans le concert mondial. En effet les questions internationales complexes se multiplient tandis que les flux financiers, commerciaux, culturels, médiatiques, ainsi que les problèmes environnementaux, écologiques et climatiques, se jouent des frontières nationales ; et donc les problèmes que les gouvernements doivent affronter dépassent largement leurs possibilités d'action propre.
La dimension des États européens étant devenue insuffisante pour peser dans des dossiers à forte dimension internationale, les doutes restent forts sur la capacité de trouver à l'échelon mondial la volonté politique nécessaire pour encadrer les défis qui s'imposent. Au terme de deux mandats le directeur général de l'OMC, Pascal Lamy, confie ses doutes : « Je suis parvenu, après toutes ces années de fréquentation des lieux de la gouvernance globale, à la conviction qu'il y manque pour avancer, un soubassement de valeurs communes de nature à porter une ambition partagée de civilisation. ( ) L'intégration régionale apparaît comme une tentative pour sortir de la logique westphalienne entre voisins aux langues, aux géographies et aux civilisations proches. C'est ce dans quoi les Européens se sont engagés avec le projet Schuman ; ils ont fait preuve d'audace et de volonté politique après avoir vécu le pire que peut générer le système westphalien. »6 Il renforce ses interpellations le 16 septembre 2013 en soulignant la dégradation dans le monde de l'image politique d'une Europe incapable de faire progresser son modèle d'intégration ainsi que son modèle économique et social, à l'exception encore de l'Euro !
Depuis le début des années 2000, l'UE est encouragée à se mobiliser sur le plan interne et externe pour faire face aux stratégies des pays émergents. Le rapport « Euromonde 2015 : une stratégie européenne pour la mondialisation »7 suggérait en 2008 que l'UE contribue à façonner la mondialisation d'une part en rénovant ses politiques (Union Économique et Monétaire, politique agricole, politique commerciale, marché intérieur), d'autre part en mettant en place de vraies politiques communes plutôt que des coopérations intergouvernementales en matière d'énergie, de climat, de ressources, de migration, de développement ou encore de recherche et développement. Plusieurs années après, la volonté semble toujours manquer pour contourner les obstacles à une action extérieure plus efficace : passer d'une logique d'exemplarité à une logique de défense des intérêts européens ou encore réunir un consensus politique pour renforcer le leadership commun. De plus l'attitude des Européens vis-à-vis des puissances réémergentes et émergentes (BRICS) reste surtout défensive « ( ) au lieu d'imiter la politique américaine d'opposition à la puissance chinoise, l'UE devrait orienter différemment ses choix stratégiques en évitant de stigmatiser les BRICS. Elle doit mobiliser les pays émergents dans la construction d'un nouvel ordre mondial, plutôt que de l'envisager sans eux. »8
L'Union Européenne, qui mobilise la plus importante Aide publique au développement (APD), cumulant fonds européens, bilatéraux et fonds dédiés à des organismes multilatéraux, se montre incapable de peser à la hauteur de ses engagements financiers faute d'une volonté de coopérer en fonction d'une vision commune.
Il est donc nécessaire de passer d'une attitude défensive à une ouverture sur un dialogue pour construire de nouveaux équilibres dans le cadre de la poursuite d'intérêts réciproques dans la durée. Ceci nécessite d'abord que l'Europe que l'UE mobilise ses forces vives autour de politiques communes visant à réduire les inégalités sociales, les gaspillages de toutes nature, développant les investissement d'avenir, l'éducation, la recherche, les services publics, les biens communs, ensuite qu'elle revoie ses institutions9 et ses outils de politique d'ouverture sur le monde (APD, traités et accords avec les pays extérieurs, représentations dans les instances internationales, etc.), enfin qu'elle soutienne les efforts de ses citoyens et de ses organisations qui dialoguent avec les autres peuples. Ceci ne pourra se faire que si les citoyens de chaque pays revoient leur rapport à l'Europe et si les processus démocratiques se renforcent à la fois dans chaque pays et au niveau d'Union Européenne (voir fiche à rédiger sur « faire progresser la qualité de la démocratie en Europe).
Trop de citoyens européens veulent qu'on leur fiche la paix sans se rendre compte que la paix est un bien qui se gagne chaque jour : il ne s'agit pas d'avoir la paix, mais de la faire, à l'intérieur de nos pays et de l'Europe comme dans le monde. Ceci nécessite en priorité une Europe plus forte, plus juste, plus démocratique et plus unie pour accompagner les dynamiques d'ouverture sur le monde des États membre et pour servir de référence dans un monde qui a besoin de repère et de sens.
Notes :
1 - Pascal Lamy, L'avenir de l'Europe dans la nouvelle économie monde, Notre Europe, février 2012
2 - Voir les 10 axes thématiques retenus pour le forum social de Tunis fin mars 2013, dont : pour un monde débarrassé de toute hégémonie et de toute domination impérialiste, pour la construction de nouveaux universalismes, pour la construction de processus démocratique d'intégration et d'unions entre les peuples, pour un monde démocratique
3 - Voir le site de JM Jancovici
4 - Patrick Viveret , 2012 , La cause humaine, LLL
5 - L'espace qui incarne la souveraineté du peuple (l'État nation), en dépit de certains transferts de souveraineté, n'a pas beaucoup évolué malgré les multiples traités qui ont jalonné son histoire.
6 - Pascal Lamy, Gouvernance mondiale : s'attaquer au terrain des valeurs, Tribune, Notre Europe, Janvier 2013
7 - Laurent Cohen-Tanugi (dir.), La documentation française, 2008
8 - Voir Elvire Fabry, Influence européenne : la nécessité d'un changement de paradigme, Notre Europe, 2012.
9 - La ratification du Traité de Lisbonne a permis de mettre en place un service européen d'action extérieure et un Haut représentant à la politique étrangère et de sécurité commune. A un moment où la crise économique focalise pour l'instant les esprits, ce nouveau dispositif a du mal à donner l'impulsion nécessaire sur le plan extérieur.