Migrants, pour un un avenir en commun
Fiche adoptée par le bureau du Pacte civique le 18 juin 2014
Pourquoi ?
a) Les questions d'immigration, de droits des étrangers, d'intégration dans la société, sont quotidiennement à la une des médias et des discours des responsables politiques et font débat, un débat tendu et conflictuel. Elles se situent pourtant au coeur de l'exercice démocratique : La façon dont une société accueille « l'autre », lui donne un statut social, juridique, économique, est une expression forte de sa conception de la démocratie. Le Pacte civique se doit donc de fournir une analyse et des propositions sur ce sujet, d'autant que les 32 engagements s'y réfèrent peu[1].
b) Les conditions du débat sur ce sujet ne sont pas bonnes et relèvent souvent plus de l'invective, du stéréotype, de la prise de positions idéologique que d'une éthique de la discussion bien menée qui pourrait aboutir à une meilleure prise en charge du sujet. La tentation de faire des étrangers les boucs émissaires des malaises de notre société est permanente. Cela peut expliquer que l'on on assiste à l'expression croissante d'opinions xénophobes et racistes qui ne se cachent plus tant elles sont banalisées dans la parole publique de certains responsables politiques et de certains médias. Il est essentiel pour notre démocratie de se démarquer avec force et de manière explicite de ces dérives et il importe, à travers le Pacte civique, de promouvoir un nouveau « contrat social et citoyen » pour une société ouverte, porteuse d'un « bien vivre ensemble », en France, au sein de l'Union Européenne et plus généralement sur notre planète.
c) Pays d'immigration ancienne et durable, la France a une longue expérience de l'intégration de migrants. En ce début de siècle, un français sur quatre a au moins un grand parent venu d'un autre pays. Cependant, l'origine des arrivants, les conditions économiques et sociales de leur arrivée ont profondément changé. La société française est devenue peu à peu, de fait, multiculturelle. Elle ne le sait pas toujours, tantôt le déplore, tantôt l'assume, tantôt, et il faut s'en féliciter, s'en enrichit. La présence de l'islam, de la libre expression de son culte et de certaines de ses pratiques réactive toutefois la question de la laïcité que l'on espérait apaisée et complique le débat.
- L'évolution de la situation du marché du travail en Europe a affecté l'attitude des opinions publiques et des gouvernements vis à vis des migrations. A l'immigration de l'après-guerre, destinée à pallier le manque de main d'oeuvre dans une situation de plein emploi, a succédé une émigration due au désir des populations de fuir la misère ou l'absence de liberté, dans une situation où le chômage est devenu structurel dans beaucoup de pays européens. Même si les immigrés occupent souvent des emplois délaissés par les nationaux, ils sont, du fait de leur qualification généralement plus faible, exposés plus particulièrement au risque de chômage et d'exploitation, ce risque étant aggravé par les discriminations à l'embauche dont ils souffrent souvent. Cela explique largement l'existence de quartiers caractérisés à la fois par une importante population étrangère et un fort taux de chômage, avec toutes les difficultés de tous ordres qui en résultent.
e) Il convient de faire plusieurs distinctions : entre intégration/insertion dans la société des personnes étrangères établies dans notre pays, qu'elles aient ou non la nationalité française, et politiques d'immigration; entre immigration en période de plein emploi et pénurie de main d'uvre, d'une part, et immigration sur fond de chômage massif, d'autre part, bien qu'il ne soit pas démontré que les immigrés « prennent des emplois » aux autres, ni qu'ils tirent les salaires vers le bas, car ils occupent souvent des emplois difficiles à pourvoir ; malgré tout, un minimum de cohérence doit s'établir entre le mode de régulation du marché du travail et le degré d'ouverture des frontières démographiques : un marché du travail régulé suppose une certaine régulation des entrées si l'on veut éviter chômage ou travail noir.
f) Il faut aussi éviter de se laisser enfermer dans le dilemme moral qui oppose de manière frontale et simpliste une attitude ouverte à l'immigration, mais peu réaliste et risquant d'aggraver les problèmes, et une attitude dite réaliste et fermée, mais moralement peu acceptable. Il s'agit plutôt de penser de manière correcte le juste niveau d'ouverture des frontières, celui qui permet de faire de l'immigration une chance et une richesse pour le pays d'accueil. A cet égard, la mise en oeuvre effective d'une véritable éthique du débat[2] est indispensable pour sortir définir les règles du jeu et fixer les objectifs en distinguant ceux qui sont atteignables à court terme et ceux qui sont souhaitables à long terme.
Des objectifs porteurs de sens
1. Renverser l'équilibre entre le droit et l'exception : Vers un droit à la mobilité avec des exceptions plutôt que l'inverse
Nous pourrions nous fixer comme objectif, à terme, un monde sans frontières où la libre circulation des femmes et des hommes est autorisée, sauf exception motivée. Ce serait une manière de concrétiser l'unité de la communauté humaine. Cela suppose corrélativement un progrès important des institutions internationales, mais cela pourrait constituer notre horizon. Cela suppose que, peu à peu, « la migration soit définie comme un droit individuel énoncé comme un droit universel auxquels les pays pourraient apporter des restrictions et non plus comme une interdiction atténuée par les besoins des pays riches », ce qui permettrait de «valoriser la mobilité, source de développement, de démocratisation et d'échange, et de prendre en compte la fluidité des mouvements de nouveaux migrants »[3].
L'ouverture des frontières est en effet le seul objectif éthique vraiment légitime et leur ouverture graduelle le seul objectif réaliste pour se libérer des impasses actuelles. Le droit de quitter un pays, y compris le sien, est inscrit dans la déclaration universelle des Droits de l'Homme. Pourquoi y aurait-il des humains assignés à rester là où ils sont nés et d'autres qui pourraient sillonner la planète ? Des frontières plus ouvertes imposeront, à terme, que les écarts de développement se réduisent, que la mobilité soit davantage choisie et moins déterminée par le sous-développement et l'absence de démocratie, que des relations franches s'établissent entre pays de départ et d'accueil, en particulier sur le partage des ressources de la planète : terre, eau, énergie. Il s'agit là sans doute de perspectives de long terme, mais il convient de les prendre en compte dès maintenant si l'on veut, par ailleurs, que les tensions internationales cessent de dominer la planète.
2. Saluer la réussite interne de la mobilité au sein de l'Union européenne et ses contradictions avec sa position externe
La CECA, la CEE, puis l'Union européenne ont organisé le droit à la mobilité interne au sein de l'Union, qui est maintenant réalisé presque intégralement, tant pour les personnes que pour les travailleurs, malgré les différences importantes de niveau de vie qui subsistent. Même si ce droit est moins utilisé que prévu[4], c'est un grand succès qui doit être salué comme tel, alors que cet objectif se heurtait à beaucoup de scepticisme au départ. Il va maintenant de soi, encore faut-il rappeler qu'il a fallu beaucoup de temps et de progressivité pour le réaliser, ainsi que le support de mécanismes importants de coopération et de redistribution, qui n'existent pas ailleurs.
Sur le plan externe, il en va autrement. L'Union européenne a construit sa politique migratoire sur le principe de « l'immigration zéro », l'immigration de travail ayant été bloquée par les pays membres en 1973 et 1974. Elle a commencé à la remettre en cause pour des raisons démographiques. Les accords de Schengen (1985) abolissent les frontières intérieures entre les pays signataires pour les migrants venant de l'extérieur une fois qu'ils sont rentrés. Mais ils renforcent ces frontières à l'extérieur, tandis que ceux de Dublin (1990) durcissent la législation sur le droit d'asile. Le sommet de Tampere (1999), une décennie plus tard, amorce une attitude plus ouverte pour la main d'oeuvre qualifiée, car l'UE vieillissante a besoin de main d'oeuvre et voudrait attirer des cerveaux, mais crée parallèlement le système Frontex, moyens de police mis en commun pour le contrôle des frontières. En juin 2008, le Parlement européen adopte la directive « retour » qui permet le maintien en rétention des personnes en situation irrégulière pour une durée pouvant aller jusqu'à 18 mois. Même si cette politique est maintenant communautarisée, les États s'efforcent de continuer à jouer un rôle pour la détermination des règles d'accueil des étrangers non communautaires. La France, où l'opinion publique est travaillée par l'extrême droite sur ce sujet, a ainsi renforcé ses contrôles, pas moins de six textes depuis 2002 ayant durci la politique migratoire.
Quoiqu'il en soit, l'Europe, traditionnellement terre de départ, est devenue peu à peu, de fait, le premier pôle d'immigration du monde, avec, en 2005, 3millions d'entrées nettes et 30 millions d'immigrés, dont une majorité d'immigrés non communautaires, sur son territoire de 500 millions d'habitants. Elle n'a sans doute pas pris conscience de ce changement d'identité.
Il mériterait un véritable débat citoyen à l'échelle de l'Union et à celui des États membres, en vue notamment de remédier à la méconnaissance des questions migratoires, de favoriser une meilleure connaissance des études menées, et de les faire analyser par dans les médias afin d'aboutir à une information non biaisée par les préjugés xénophobes ou racistes. L'objectif d'une politique d'ouverture graduelle, mieux définie, plus claire, mieux ordonnée et plus humaine dans ses conditions d'application pourrait alors être fixé.
Dans ce contexte, plutôt que de promouvoir une coopération avec les pays de départ en termes de répression des mouvements migratoires, de nouvelles formes d'échange entre Nord et Sud, favorables à un co-développement seraient recherchées. Bien qu'il soit avéré que de telles politiques n'ont jusqu'à présent eu que peu d'effets, on doit continuer à rechercher les moyens pour que de part et d'autre des échanges économiques plus respectueux des Droits des pays du Sud s'instaurent et contribuent à une valorisation des richesses en hommes et en biens. De telles politiques devraient inclure une circulation plus fluide des hommes et des femmes au-delà de leurs frontières.
3. Appliquer le droit de manière rigoureuse et se mobiliser contre les atteintes aux droits des étrangers
Dans le climat actuel, injustices, intimidations comme à l'occasion de l'évacuation violente de Sangatte et atteintes aux droits de l'homme, notamment lors des reconductions aux frontières se multiplient. Associations ou réseaux de militants sont sans cesse en alerte pour tenter de mettre davantage d'humanité dans les politiques des autorités et les comportements de leurs représentants vis-à-vis des étrangers. Les étrangers ont des droits qu'il faut respecter et faire respecter. Les traiter de façon inhumaine est un déni des principes essentiels à toute démocratie, et plus encore quand il s'agit d'enfants, comme c'est parfois le cas.
4. Combattre le racisme et la xénophobie par la diffusion des connaissances
La méconnaissance des questions migratoires est un frein à la recherche de solutions adéquates pour l'intégration des arrivants. Il faut combattre les idées fausses qui conduisent à la ségrégation d'une partie des migrants (pauvreté, discriminations de tous ordres, notamment dans l'emploi) et une soi-disant distance culturelle qui s'opposerait à l'intégration.
Une meilleure connaissance des études menées, de leur analyse dans les médias est la condition préalable à une information non biaisée par les préjugés xénophobes ou racistes[5].
5. Approfondir la façon d'accueillir et d'intégrer
Il est évident que l'amélioration des capacités d'intégration de l'Union européenne en général et de la France en particulier est une condition de réussite d'une politique migratoire plus ouverte.
En ce qui concerne notre pays, la mise en uvre effective des engagements 23 à 26 du Pacte civique, qui visent à « renforcer les actions contre les inégalités, exclusions, discriminations et maltraitances » et 27à 29 qui doivent permettre de « revivifier le vivre ensemble » favoriserait l'intégration des étrangers. En particulier, une mobilisation réussie contre le chômage et le chômage de longue durée aurait un effet important[6] car elle favoriserait directement l'intégration des migrants par le travail et l'accès à l'emploi.
Il reste que des dispositions spécifiques doivent être envisagées concernant les modalités d'accueil et d'intégration des migrants., ce qui suppose d'approfondir des questions délicates, comme par exemple de permettre aux réfugiés, en attente d'une décision sur leur statut, d'avoir la possibilité de travailler, d'ouvrir un compte bancaire, d'avoir accès aux services sociaux.
Les engagements proposés
a) Engagements individuels proposés :
- Participer aux débats sur l'immigration ainsi qu'aux actions et manifestations pour faire respecter les étrangers et/ou immigrés et leurs droits" ;
- Mener des actions concrètes d'aide à des personnes étrangères pour les aider à accéder à leurs droits, notamment à leur droit à travailler;
- Rappeler aux immigrés leurs devoirs vis à vis du pays d'accueil (acquisition de sa langue, respect de ses lois, prise ne considération de ses us et coutumes) et de leur pays d'origine ;
- Répondre aux préjugés xénophobes et racistes, chaque fois qu'ils sont avancés dans notre entourage, avec des arguments étayés par une connaissance accrue des faits en matière d'immigration ;
- Appliquer particulièrement aux étrangers et immigrés les engagements 5 (« aller à la rencontre de l'autre ») et 6 (« reconnaître le droit à la parole de chacun ») du Pacte civique ;
- Par souci de cohérence, éviter de demander à la collectivité une générosité manifestement excessive par rapport à ce que l'on est prêt à faire individuellement
b) Engagements collectifs proposés en tant qu'acteurs :
a) dans les institutions auxquelles nous contribuons (associations, entreprises, syndicats, partis politiques...) favoriser une meilleure représentation de la diversité de la société et lutter contre les discriminations implicites ou explicites qui frappent les personnes d'origine étrangère.
b) dans les municipalités et les associations :
- s'appuyer délibérément sur le «pouvoir d'agir» des habitants, notamment dans les quartiers confrontés à des difficultés particulières[7] ;
- encourager la coopération décentralisée et le co-développement ;
c) Engagements, en tant que citoyens, à demander aux responsables politiques:
a) de faire respecter la dignité de la personne humaine pour les migrants en faisant appliquer, dans leur totalité, en droit interne français, les conventions internationales, et notamment la convention des droits des enfants, ratifiées par la France.
Dans une première étape, promouvoir, dans les centres de rétention, des formes d'accompagnement humaines;
b) de former tous les personnels ayant une fonction auprès des migrants à des pratiques humaines, et d'augmenter leur nombre pour leur permettre de travailler dans le respect de la dignité des personnes.
c)d'organiser un débat national, ou des débats locaux, sur l'intégration, pour faire dialoguer en particulier la France des beaux quartiers, qui ne connaît pas les problèmes d'immigration, la France des quartiers sensibles qui vit mal ou difficilement la présence des personnes d'origine étrangère, et la France des immigrés qui se sent discriminée, cela en vue de trouver les solutions appropriées;
d) de donner le droits de vote aux personnes immigrées pour les scrutins locaux;
e)de faire de « l'emploi de qualité pour tous, à temps choisi, une priorité nationale partagée » (engagement 24 du Pacte civique), et, dans ce cadre, d'autoriser les demandeurs d'asile à travailler s'il n'a pas été statué sur leur demande dans un délai bref;
- de ne pas exclure des opérations périodiques de régularisation, à l'occasion d'événements exceptionnels de la vie nationale notamment;
- de promouvoir des politiques améliorant progressivement la libre circulation des personnes.
notes:
[1] Seul l'engagement 19 consacré à une représentation démocratique plus équilibrée des populations et prônant « le droit de vote aux élections locales pour les personnes étrangères régulièrement établies » s'y réfère explicitement. On notera que les engagements personnels 5 et 6 (« aller à la rencontre de l'autre, quelle que soit sa différence » et « reconnaître le droit à la parole de chacun ») militent pour une attitude ouverte et que les engagements politiques consistant à « améliorer la qualité démocratique », à « renforcer les actions contre les inégalités, exclusions, discriminations et maltraitances » et à « revivifier le vivre ensemble » doivent, s'ils sont effectivement mis en uvre, permettre d'améliorer la situation des personnes d'origine étrangère.[2] Voir la fiche repère consacrée à ce sujet.
[3] Catherine Withol de Wenden, La globalisation humaine, PUF, 2010, p.232.
[4] 1,5% des ressortissants des Etats membres vivent dans un autre Etat que le leur
[5] Voir en particulier dans le livre d'ATD Quart Monde, En finir avec les idées fausses sur la pauvreté, les pages 102 à 108 consacrées à l'immigration.
[6] Voir sur ce point les propositions faites par le Pacte civique à l'occasion de l'édition 2014 de la « Fête du travail, faites des emplois » (www.fetedutravail.fr).
[7] Cf. le rapport de Marie-Hélène Bacqué et Mohamed Mechmache au Ministre délégué chargé de la Ville, Pour une réforme radicale de la politique de la ville.